Elle était venue avec sa maman. J'ai discuté un petit moment avec elles, de tout et de rien, de la raison pour laquelle on était tous là ce soir. Puis, je ne sais plus pour quelle raison, j'ai calé dans ma conversation le fait que j'avais une formation d'éducatrice spécialisée (tu sais, les gens avec des sarouels qui conduisent des camionnettes avec plein d'handicapés qui bavent sur les carreaux quand on double sur l'autoroute). Quand j'ai dis ça, la maman a regardé sa fillette en lui disant : "Oooh ! Educatrice Spécialisée ! Comme ce que tu veux faire plus tard". Je me réjouis de ce choix courageux pour une si jeune fille et je lui vante les mérites de ce métier ainsi que de la formation. J'en profite pour lui donner mes petites astuces pour passer les concours et les obtenir (bah quoi ! Les occasions se font rares maintenant que je travaille entre les strass, les paillettes et les gaines ventre plat). La pitchounette boit mes paroles et acquiesce tout ce que je dis avec un petit sourire timide. Puis on continue la discussion. Discussion qui me permettra, plus tard, d'apprendre que cette gamine n'a, en réalité, aucunement l'envie de devenir un de ces travailleurs sociaux, mais styliste. C'est pas elle qui me le dira d'ailleurs, c'est Maman. En voyant mon visage se décomposer, Maman ajoute "tu comprends bien que moi, en tant que mère, je ne peux pas laisser ma fille faire une école de mode. Je préfère qu'elle ait un vrai diplôme" puis "ouais c'est pas mal ce qu'elle fait en couture, mais c'est pas non pluuus..."
Voilà...j'avais devant moi une minette de 17ans. Qui s'adonnait à une passion depuis des années, qui était de faire des fringues avec des bouts de chiffons. Sans que personne ne lui accorde la moindre crédibilité. Et une maman qui, pour rassurer sa conscience de mère, poussait sa gamine à faire un "vrai" métier. Un beau métier, le genre de métier qui rend bien fières les mamans, parce que "ma fille elle s'occupe des personnes handicapées toute la journée, elle est courageuse ma fille, puis c'est une fille bien pour faire un tel métier".
Et là j'ai eu envie de pleurer. Parce que cette histoire c'était la mienne tout craché. Parce que devant moi, ce tenait Mélococo il y a 10 ans. Parce-que, maintenant, je tuerais pour retourner à cette âge pour changer la donne. Pour ne pas tuer mon temps sur les bancs de la fac de psycho pendant 4 ans en attendant d'obtenir un concours qui me permettra de rencontrer des gens incroyables qui, eux, avec un fil et des aiguilles préfèrent jouer au diabolo au bord de la Garonne. Parce-que mon orientation post-bac est la plus grosse erreur de toute ma vie. Parce-que j'aurais juste rêver que ma mère ait un tout petit peu plus de considération envers les robes que je dessinais au lieu de dire "tu vas finir couturière au fond d'un atelier à faire des ourlets et des retouches pourries".
J'avais deux choix hier soir : me faire éclater la gueule par une maman en lui disant, du haut de mes pauvres 26 ans, qu'elle commettait la plus grosse erreur qu'une mère puisse commettre ou pousser une gamine à faire des études qui lui causerait, sans doute, angoisses, mal-être, et somatisation en tout genre.
J'ai fait un mix des deux. Je n'ai pas pu faire autrement, du moins j'ai pas eu le courage. Mais ce matin, je suis prise de remords. Au final, je lui ai vendu la formation d'éduc en lui disant que je n'avais jamais autant fait de couture que pendant cette période là. Sans préciser que c'était parce-qu'aller en cours avec tous ces connards me provoquait les plus grosses angoisses de toute ma vie. Qu'aujourd'hui, c'est un combat que je mène pour essayer d'amener à bien mon projet professionnel, que je redouble d'effort pour compenser mon manque de formation et de diplôme dans le domaine de la mode et qu'il n'y a pas une semaine où je suis prise de doutes et que je regarde, en secret, sous ma couette, avec une lampe frontale si il n'y a pas une formation que je pourrais faire sans payer 5000€ l'année scolaire. En vain.
C'est plus tard dans la soirée que Pipounette est venue, seule, me demander mon numéro de téléphone, en me disant que j'étais trop gentille et que ça lui avait fait trop de bien de me rencontrer. J'avais envie de mourir. Je le lui ai donné et je lui ai fait juré de m'écrire si elle avait la moindre question, le moindre doute.
Hier soir, je suis devenue toutes les personnes qui m'entouraient il y a 10 ans et que je déteste aujourd'hui.
(Madame Robert, conseillère d'orientation à Aurillac)
C'est vénère !
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